Distinguer islam et islamisme, avant toute chose. C’est une évidence pour beaucoup, mais la conférence de Frantz Thille, agrégé d’histoire, commençait par ce rappel urgent alors que les amalgames sont légion et brouillent les lignes. Pris par le temps, il n’aura pas pu détailler les différents courants de l’islam comme il l’avait fait en février 2019 dans le même amphithéâtre.
Ne pas « se tromper de combat », préconise ensuite le conférencier. Se focaliser sur les rayons hallal comme a pu le faire le ministre de l’Intérieur en ciblant les « rayons communautaires » est un « faux débat » estime-t-il.
Il y a pour lui « deux polémiques qu’il ne faut pas avoir : apostropher une femme voilée accompagnatrice : elle en a le droit, là n’est pas le combat, ça donne des cordes à leur arc et profite à l’islamisme. L’autre, c’est l’islamotolérance qui conduit à une salafisation des quartiers sur lesquels on n’a pas de prise. »
« Ça fait 20 ans que les bienpensants croient que si on attaque l’islamisme on attaque l’islam (…) à vouloir éviter les amalgames on a laissé l’hydre se développer » estime le conférencier.
Son attention se porte donc davantage sur l’islamisme en général, cette dérive de l’islam qui « ne conçoit pas l’islam comme une religion mais comme un cadre qui exclut tout autre cadre et donc dont la loi surpasse celle de la république. L’islamisme est donc par nature hors la loi », tranche l’historien. » C’est un projet impérialiste de domination et d’avilissement de notre propre culture. Le refus de la réalité pédagogique, ça fait longtemps que les enseignants sont au courant dans les banlieues, ça fait 20 ans que ça traîne. »
S’il distingue comme en 2019 les quiétistes, salafistes paisibles qui vivent leur foi de leur côté, et les djihadistes que les premiers « détestent », il met toutefois en garde. « Ils méprisent nos valeurs, discutez avec un quiétiste de l’homosexualité, de la place de la femme, ils sont antiféministes et en dehors des valeurs de la république. Ils sont pacifistes, donc on les a écartés des radars mais ils sont séparatistes » prévient Frantz Thille. Les quiétistes, parce qu’ils mettent la religion au dessus des lois républicaines posent « le terreau du poison » de l’islamisme violent selon lui.
Un islamisme qui n’utilise pas que des couteaux d’ailleurs. Le djihadisme peut être « numérique », via une propagande assidue sur Internet, ou « judiciaire » avec des procès à tout-va au nom de la liberté d’expression ou de culte.
Or, on l’a vu avec le meurtre de Samuel Paty, une communication sur Internet peut inciter au passage à l’acte violent en offrant une cible au terroriste qui en cherche une. Ce qui amène l’enseignant à conseiller ses pairs sur l’approche de la caricature. Loin d’appeler à les exclure des cours d’histoire ou d’éducation civique, il conseille de prendre le temps de les contextualiser.
Alors que les enseignants sont invités à travailler ce lundi avec leurs élèves sur les caricatures et à évoquer le meurtre de leur collègue, la question se pose de la méthode.
« La caricature fait partie de l’esprit français. Une caricature c’est un portrait qui va amplifier des traits de façon provocante, parfois cynique, parfois hilarante, avec des aspects ridicules. Il faut parfois partir avec d’autres caricatures que celles de Mahomet pour commencer et expliquer ce que c’est. Les premiers qui s’en sont pris plein la figure c’est les catholiques avec les prêtres pédophiles. »
Une étudiante présente dans la salle acquiesce. « Si on présente des caricatures visant l’extrême droite puis les catholiques avant celles visant les musulmans, on comprend qu’ils n’ont rien contre nous, si on montre directement des caricatures du prophète, ça peut ressembler à une provocation » exprime-t-elle.
« Le syncrétisme à Mayotte, tant mieux ! »
Dans un contexte apaisé, la provocation peut générer le débat, et être saine. C’est face à un esprit conditionné que le clash est à redouter. Le professeur s’est donc reposé la question de l’islam à Mayotte comme rempart contre ce risque d’action violente. Le syncrétisme culturel et cultuel qui domine à Mayotte mélangeant plusieurs influences culturelles ne peut que freiner les ambitions d’un salafisme binaire qui voit le monde en deux notions ; le hallal, ce qui est permis, et le haram, qui doit être combattu. Loin donc de la tolérance inhérente à l’islam de Mayotte. D’autres particularités locales empêchent aussi l’islamisme de s’installer dangereusement. Un cadre familial fort, une vie de village ou de quartier qui rend peu probable pour un jeune de s’isoler sous la coupe d’un « émir »… Et si la « misère sociale et culturelle » forme bien « un terreau », « dans un banga il n’est pas possible de s’enfermer des heures devant un ordinateur à se faire bouffer par le djihad numérique, on sort, on joue au foot.. Il faut garder le cadre religieux et familial, je ne suis pas laïcard là dessus, le syncrétisme à Mayotte, tant mieux ! » estime l’enseignant. Ce dernier salue aussi « l’encadrement religieux » très présent sur l’île et qui forme aussi un rempart précieux. « A l’école coranique, on a eu des traductions du Coran et on a appris à comprendre les textes, ce n’était pas du par cœur » poursuit l’étudiante qui a suivi la conférence avec intérêt. Selon elle en effet, l’éducation religieuse largement dispensée à Mayotte protège efficacement, « à condition de rester vigilant ».
Pour Frantz Thille en effet, le danger « n’est pas sur Mayotte mais sur l’import exogène, l’arrivée d’imams extérieurs mais aussi d’enseignants, de policiers, de fonctionnaires, voire de médecins qui apporteraient un islam plus dogmatique ». Il y en a déjà quelques uns, les Mahorais les qualifient péjorativement de « djaoulas », et le renseignement territorial dispose d’effectifs destinés à prévenir tout risque de dérives.
Enfin Frantz Thille met en garde contre la « victimisation » dont se nourrissent les islamistes, instillant de la colère chez leurs recrues. Face à une instrumentalisation de l’islamophobie qui sert les intégristes, un rappel s’impose. « Un musulman a plus de liberté en France que dans l’Arabie Wahhabite. Essayez de dire à La Mecque qu’il faut un jour férié pour Maoulida, vous verrez ».
Y.D.