De la peur du danger de contamination et de la mort
Depuis l’arrivée à Mayotte de cette pandémie, la Covid-19 suscite autant de peur de sa contamination que d’épouvante devant la mort maudite, d’abjections dont elle est porteuse. La mort arrive à tous les êtres vivants. Ce phénomène irréversible et indépendant de la volonté humaine, suscite toujours une forte angoisse chez les humains, lesquels à travers le temps et l’espace, les philosophies et les religions, ont toujours cherché à le comprendre et par-dessus tout à atténuer la frayeur et la terreur qui les submergent quand ils en ont souvenance, mais en vain. Alors que la mort fait partie de la vie, car naître c’est accepter le jeu de la vie, et à la fin du jeu, il y a la mort. Et de toutes les façons, la vie on ne s’en sort pas vivant. Alors on n’a pas le choix. Cependant, souvenons-nous d’Epicure qui disait dans sa lettre à Ménécée ceci : « Tant que nous sommes, la mort n’est pas là et une fois que la mort est là nous ne sommes plus ». Autant profiter d’être là, pour exploiter le laps de temps qu’il nous reste pour vivre au mieux la bonne vie. Pour que cela soit réussi par ces temps de pandémie Covid-19 galopante dans notre île aux parfums, il faut respecter les gestes barrières, les mesures sanitaires liées au confinement et au couvre-feu, et surtout se vacciner contre la Covid-19.
Une personne sur dix qui décède à Mayotte, est positive au Covid-19
Depuis le 13 mars 2020, début de la pandémie à Mayotte, 886 décès sont enregistrés sur l’île, dont près d’une personne sur dix était confirmée positive au covid19. Mourir du Coronavirus n’est plus une fiction, ni une surprise. Elle est une réalité et l’effroi peut donc nous saisir. La question de la mort, c’est autour d’elle que le sujet se constitue, dixit Lacan, et face à elle, il y a ceux qui ont mal aujourd’hui. En tout cas, ce ne sont pas ces morts. Pour eux, il n’y a plus de souffrance, c’est fini leur réanimation, leur intubation et leur perfusion au curare. C’est fini aussi pour le parent, l’ami, le proche ou le moins proche. Mais celui qui a mal, c’est l’autre, le vivant, le souffrant qui a mal à lui dans l’autre, à cette part de soi qui s’en va avec l’autre dépositaire d’une partie de son histoire, dans la tombe, au trou, à la trappe, fini … L’insidieux de la mort nous submerge soudain de manière définitive.
Une mort qui outrepasse les rituels funéraires
Concernant la gestion funéraire, nous avons rappelé en introduction que les rites funéraires observés à Mayotte sont très précis, très codifiés par la coutume, notamment la religion. Dans ce contexte, l’islam impose en matière de gestion funéraire d’une personne décédée de confession musulmane, les obligations suivantes : le défunt est lavé et drapé par un linceul et accessoires (bafuta et kafani).
Une prière est dite sur la dépouille du défunt. Le défunt est enterré en conformité avec les rites islamiques. C’est-à-dire dans cette obligation d’un contact direct du défunt à la terre. « N’avons-nous pas fait de la terre un endroit les contenant tous, les vivants ainsi que les morts » (Coran 77/24-26). Les condoléances sont faites à la famille du défunt et à ses proches. Or en cas de décès d’un patient cas probable ou confirmé Covid-19, aucun acte de thanatopraxie, ni de toilette rituelle n’est pratiqué sur le corps du défunt, conformément au décret n°2021-51 du 21 janvier 2021. Il n’y a donc pas rituels, pas de linceul et d’accessoires (bafuta et kafani). Le corps est déposé en cercueil simple répondant aux caractéristiques définies à l’article R 2213-25 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Il n’y a donc ni contact direct du défunt à la terre, ni attroupement sur le lieu du décès à cause de l’état d’urgence sanitaire en cours. Cependant, il faut comprendre que cette dérogation trouve également sa justification d’une part, dans le Coran qui commande à l’Homme de protéger et de préserver sa propre vie et celle d’autrui C2/195 « Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction », et d’autre part dans le concept islamique de la « al-darura » qui prend en considération l’intérêt de l’Homme et qui soutient que le droit d’une personne vivante prime sur celui d’une personne morte. On le retrouve dans Platonov de Tchekhov, où il est dit qu’il faut « enterrer les morts, réparer les vivants ». Ce que reprend Maylis de Kerangal dans son livre « Réparer le vivants1»
Une mort qui annule les rites de commémoration
A cause de l’état d’urgence sanitaire et des arrêtés préfectoraux portant sur les mesures de confinement et du couvre-feu en vigueur sur l’île interdisant notamment le déplacement et le regroupement des personnes, des nombreuses étapes de la procédure de deuil communautaire seront automatiquement annulées. Il s’agit par exemple des offrandes faites le premier jour du décès, à la famille avec un sacrifice d’un animal envoyé avec du riz dans la mosquée « sadaka », la lecture collective et complète du Coran « hitima », le « tahali », le lavage des linges de la maison du défunt. Les offrandes du 3ème, 9ème et 40ème jour ainsi que de la clôture du deuil social, auquel un grand repas appelé « Madzicho » est préparé. Cette annulation des rituels de commémoration constitue socialement une violence symbolique aux vivants, qu’il nous faut ensemble apprendre à conjurer et à réparer.
Salim MOUHOUTAR
Auteur et Conférencier
1 Réparer les vivants, Maylis de Kerangal, éditions Verticales, 2014
Lire la tribune de Mouhoutar Salim sur les rituels de la mort, il y a juste un peu plus d’un an…