Reports de soins pour un Mahorais sur deux, situation d’obésité pour plus de la moitié des Mahoraises de plus de 35 ans, densité médicale moitié moindre qu’en métropole… Les statistiques sur la santé à Mayotte sont aussi mauvaise que l’on pouvait s’y attendre, et le fait de les officialiser a pour but d’appuyer les politiques publiques censées améliorer la situation.
Partant du constat que le rapport de l’Insee sur la santé -à retrouver dans notre édition de ce vendredi – ne fait que conforter ce qui était déjà pressenti, la directrice de l’ARS Dominique Voynet fait un point -non exhaustif- sur les projets en matière de santé. Les prochaines années seront marquées par une volonté qui ne ferme aucune porte, tout en laissant une large place au pragmatisme.
D’abord il faudra pour la directrice de l ‘ARS de Mayotte « approfondir et préciser encore [ces statistiques] pour prendre en compte une approche territoriale plus précise. Par exemple on est en train de vacciner sur l’ensemble du territoire de Mayotte, et pourtant 45% de la population est vaccinée à Boueni contre 6% à Koungou » note-t-elle.
De fait, « à Koungou la précarité économique et l’instabilité sociale, le bas niveau d’éducation, expliquent ces chiffres. Ce qui est plus surprenant c’est de voir que les femmes se disent plus en mauvaise santé, alors que nous avons le sentiment que les femmes sont suivies plus régulièrement en raison des nombreuses grossesses » commente la responsable. Un point qui peut s’expliquer par le fait que l’obésité touche davantage les femmes, comme nous l’expliquons dans l’article consacré à cette enquête.
Au delà des constats chiffrés, métier de l’Insee, celui de l’ARS touche davantage aux politiques publiques à mettre en oeuvre pour améliorer les choses.
Parmi les pistes, il y a » la nécessité de compléter le régime de protection sociale. Le fait qu’on ne profite pas de l’AME (aide médicale d’Etat pour la prise en charge des étrangers sans couverture sociale NDLR) à Mayotte est un problème, pour les assurés sociaux on a un problème important de couverture par des mutuelles qui ne concerne qu’une partie limitée de la population. Les fonctionnaires le sont, les agriculteurs aussi, mais une grande majorité des assurés sociaux répugnent à aller consulter avant que la situation ne soit sérieuse faute de mutuelle ».
Un besoin de plus de proximité
La directrice de l’ARS note aussi la nécessité « d’aller vers » les patients, alors que le territoire est inégalement doté en infrastructures et personnels de santé.
« On met en place des CPT des Communautés professionnelles territoriales de santé », « on sait que des territoires sont bien couverts et d’autres en plus grande difficulté, c’est plus difficile de se faire soigner à Bouéni ou Bandrélé qu’à Acoua ou Bandraboua » note la directrice.
Pour elle, l’amélioration de la situation passe aussi par « la santé communautaire, on fait beaucoup d’efforts sur l’obésité, le diabète, la précarité sanitaire, l’accès à l’eau, les réseaux de santé communautaires se mettent en place, avec des associations spécialisées dans des quartiers. On travaille avec tout un tas d’associations spécialisées par exemple dans le propreté et la lutte contre les déchets, dont la formation des agents de proximité pendant la crise Covid en fait des relais crédibles sur les questions de santé ».
Côté infrastructures, « le projet de 2e hôpital se concrétise fortement. Fin août on fera le premier conseil de surveillance de l’hôpital post-élection départementale qui a vu renouveler une partie du conseil de surveillance. Le 2e hôpital sera d’une taille au moins équivalente au 1er, ce sera surement le plus gros programme d’investissement de l’Etat avec le CHU de Pointe à Pitre » soutient la directrice de l’ARS.
Un hôpital qui ne sera pas forcément un CHU, même si la porte n’est pas fermée. Pour la responsable de l’ARS, la volonté d’une partie de la classe politique mahoraise de voir fleurir ici un CHU relève d’un « fantasme du sigle. En métropole quand vous avez un CHU, il a tendance à assécher les moyens des autres hôpitaux de la région. On réfléchit à l’évolution du modèle du CHU avec un travail plus dans la transversalité que dans la hiérarchie. Si j’étais démagogue je dirais bien sur, faisons un CHU. Là on a un hôpital général, pour avoir un CHU il faut d’abord répondre aux standards d’un CHR puis il faut universitariser des filières avec des professeurs offrant un service de qualité universitaire. Certains services sont presque prêts pour ce saut. Le préalable c’était la montée en qualité des services.
Ce qui fait un CHU ce n’est pas la taille mais sa dimension universitaire. Je défend l’idée qu’on commence par la pédiatrie et la néonatalité, on pourrait aussi le faire pour la réanimation et les maladies infectieuses. Tout cela doit être discuté avec les instances universitaires » détaille l’ancienne ministre écologiste.
Cette dernière note aussi l’absence d’Ehpad, peu pénalisante à court terme, mais qui reste un point de travail.
Un Ehpad à (ré)inventer pour Mayotte ?
« La part de personnes âgée va tripler d’ici 20 ans, et on n’a pas d’Ehpad. On n’est pas dans la situation de la Martinique avec un vieillissement considérable, on va passer de 4% de la population à 12%, ça reste raisonnable, et il faut répondre à l’attente culturelle de la population de garder les personnes âgées à domicile le plus longtemps possible. On a déployé pour cela la HAD (hospitalisation à domicile) et des services de soin à domicile qui couvrent aujourd’hui tout le territoire de Mayotte ». Toutefois poursuit-elle, « on se bat pour avoir un Ehpad, il faudra prendre en compte le vieillissement de personnes moins autonomes, on a quelques années pour penser quelque chose qui soit compatible avec les attentes de Mayotte ».
Outre les structures et la proximité, le troisième volet repose sur l’éducation. « On se rend compte que ce qui compte c’est d’abord le niveau d’éducation, le gradient social est moins économique qu’éducatif. Renforcer la littéracie (connaissance) en santé est essentiel et ça constitue un des enjeux du fonds d’intervention régional financé par l’ARS, avec la prévention des MST et du diabète ». Le dépistage doit aussi être amélioré reconnaît Dominique Voynet. Ainsi, « on dépiste le cancer du col de l’utérus mais pas le cancer du sein et on ne vaccine pas contre le virus HPS » regrette-t-elle…
De plus, tout cela nécessitera à court et moyen terme une hausse considérable des recrutements à Mayotte dans le secteur médical et paramédical, ce qui mérite réflexion et devrait passer par la formation en local.
« On ne se contente pas d’une réflexion, on a deux phases, une phase d’investissement pour adapter le CHM à l’attente du 2e hôpital qui ne sera pas là avant 2029 ou 2030. On a devant nous 6 à 8 ans de programmation de formation des professionnels de santé. Le ministère s’en préoccupe et je viens de recruter à l’ARS une jeune femme mahoraise expérimentée et compétente chargée de ce dossier de la formation médicale et paramédicale. On a aussi prévu la création d’un IFSI, l’établissement de formation étant trop peu dimensionné. On a des formation d’infirmiers bloc et anesthésistes prévus à la prochaine rentrée » rappelle Dominique Voynet. Laquelle espère aussi une amélioration de la situation sur les causes du turn-over actuel « insécurité, image sur les réseaux sociaux, prix des logements, difficultés de scolarisation des enfants, les professionnels partent quand les enfants arrivent au collège ou au lycée, c’est un travail à mener avec les différents partenaires » insiste-t-elle.
Y.D.