Lorsque Ludovic Icher nous parle du monde d’avant, le fossé avec les conditions actuelles de prise en charge des évacuations sanitaires (EVASAN) par ses équipes du SAMU et du SMUR, est gigantesque, on parle de lutter contre le temps pour sauver des vies. « Jusqu’alors, nous ne pouvions compter que sur une seule place en civière dans les vols commerciaux d’Air Austral pour envoyer les malades se faire opérer au CHU de La Réunion. Il nous est arrivé d’avoir une dissection aortique à pratiquer, un acte immédiat, alors que l’avion venait de partir. Nous étions obligés d’attendre le lendemain. Plusieurs personnes sont décédées. » Un contexte qui l’incite à demander en 2015, un moyen aérien dédié pour Mayotte où l’offre de soins est limitée, « mais nous avons reçu un refus catégorique des autorités de santé, en raison de la charge financière induite. » Lui et ses équipes rédigent un rapport concret, revenant au cas par cas sur les déficientes sanitaires, « un document éloquent, dont l’aboutissement favorable a été accéléré par la crise Covid ».
On se souvient que fin mars 2020, le préfet de Mayotte suspend tous les vols commerciaux pour tenter d’endiguer les entrées virales de l’épidémie mondiale, privant en conséquence le territoire de l’arrivée de masques et liquide hydroalcoolique, et de départs sanitaires vers La Réunion. Celle qui n’a pas oublié l’enchainement chronologique, c’est Dominique Voynet, à la tête de l’ARS Mayotte : « Nous avions été obligés d’affréter au coup par coup des vols commerciaux ce qui s’est avéré ruineux et aléatoire. Une soirée d’avril 2020, on s’est dit qu’il nous fallait un avion sur place et équipé. Nous avons passé un marché simplifié, avec l’accord du ministère de la Santé, que je remercie pour nous avoir laissé faire… quoiqu’il en coute ! ».
La compagnie Amelia (Regourd aviation), avait été choisie. De janvier à juillet 2021, ce sont 754 patients qui ont bénéficié de ce service dédié aux EVASAN, « dont 310 civières extrême urgentes », rapporte Dominique Voynet. Un 2ème moyen aérien avait été mis en place, intérieur à l’île celui-là, en sous-traitant avec Helilagon. Le seul hélicoptère de l’île étant alors propriété de la gendarmerie, il fallait investir dans un héli-SMUR. Le directeur adjoint du Centre hospitalier s’en félicite, « un homme qui s’était blessé à Mtsamboro a pu être rapatrié en 10 minutes au CHM quand il fallait 2 à 3 heures en journée avec les embouteillages. » Le SAMU réalise en moyenne une cinquantaine de missions par hélicoptère chaque mois.
Jusqu’à 3 civières embarquées quotidiennement
Les autorités médicales soulignent la forte synergie entre l’héli-SMUR et l’avion, « des vies sont sauvées, les équipes du SMUR sont moins fatiguées donc plus opérationnelles ».
Il fallait donc pérenniser un dispositif mis en place en urgence pour la crise Covid, rappelle la DG de l’ARS : « Avant de lancer un appel d’offres, une étape de sourcing était nécessaire pour informer les compagnies de nos contraintes. Elles n’étaient alors plus que six à concourir, nous avons pris en compte l’avis des professionnels pour fixer notre choix de nouveau sur Amelia. » Son PDG était d’ailleurs présent sur le tarmac de Pamandzi pour fêter ce succès qui l’engage sur 5 ans aux côtés du CHM : « Nous travaillons sur l’ensemble du pays, mais aussi et Afrique et au Moyen-Orient grâce à notre flotte de 18 avions. Notre Embraer 135 qui assure les EVASAN de Mayotte vers La Réunion a une capacité de 3 civières et 12 passagers modulables en 2 civières et 20 passagers. » Les médias avaient été invités tôt ce mercredi matin pour assister à une évacuation d’un malade, qui n’a finalement pas eu lieu. « Notre activité est malgré tout quotidienne, seul le dimanche est consacré à la maintenance. Mais nous avons connu un pic de trois vols quotidiens en avril dernier, ce qui a impliqué d’affecter 3 équipages. »
Helilagon a été retenue dans les mêmes conditions d’urgence qu’Amélia, avant de pérenniser le dispositif. Les 9 hélicoptères de la compagnie réunionnaise étaient jusqu’à présent connu pour ses survols touristiques, « désormais nous le sommes aussi pour les transports de malades », se félicite son représentant. Deux hélicoptères sont dédiés à Mayotte en cas de problème technique, et le contrat n’est pour l’instant que de courte durée, de 18 mois renouvelables, « quand l’hélistation sera terminée, nous lancerons là aussi un appel d’offre », indique Dominique Voynet. L’hélisurface positionnée au CHM n’était que provisoire, « un équipement adapté avec des locaux, est prévu à côté de l’établissement, vraisemblablement pour 2022 », complète Dominique Voynet.
Un nouvel avion le 1er décembre
Qui a désormais l’aval du ministère pour pérenniser l’ensemble du dispositif, un retour en arrière est en effet peu envisageable. Les contrats de 6 millions d’euros pour l’avion sanitaire et de 2 millions pour l’Hélismur sont donc sécurisés. « Nous pourrons toujours les faire évoluer en fonction de l’évolution de l’offre de soins à Mayotte », glisse Stéphanie Fréchet, secrétaire générale de l’ARS Mayotte.
La compagnie Regourd va mettre à disposition un appareil mieux équipé sur le plan sanitaire, plus moderne car bénéficiant d’une connexion de réseau de communication, annonce son PDG, « il devrait arriver le 1er décembre ».
En attendant de professionnaliser un peu plus le dispositif avec la construction d’un hangar à l’aéroport et une hélisurface à Mamoudzou, le duo Ambraer et hélicoptère est assuré de se mettre au service des malades. Et, faute d’être encore attractive en terme d’offre de santé, Mayotte fait des envieux désormais, « les autres Outre-mer dont la Guyane et les Antilles, ainsi que la Corse, nous jalousent », se plait à souligner Dominique Voynet. En outre, les difficiles EVASAN actuelles de malades du Covid depuis les îles polynésiennes éloignées de Tahiti montrent que les crises ne sont pas encore derrière nous.
Anne Perzo-Lafond