A tous les parents de Mayotte : si votre fille vous dit, « on s’assied devant la télé ce soir à 20h, il paraît qu’il y a une nouvelle série ?! », faites-le… mais attendez vous à un tsunami. Un tsunami d’émotions, de rires, de larmes, parce que l’héroïne de Colocs, en réalité, c’est vous, wamama na waɓaɓa, les mamans et les papas de l’île. « Une série qui nous ressemble, qui parle de ce que nous vivons », c’est ainsi que l’a voulu la réalisatrice. Qui va très loin.
Nous l’avons interrogé avant la diffusion, et Jacqueline Djoumoi-Guez, qui a déjà à son actif la série ASKIP en 2019, donne la portée de ce qui s’annonce comme révolutionnaire : « Quand je regardais les novelas qui sont retransmises, je ne me reconnaissais pas, ce ne sont pas les thèmes de ma génération. J’ai toujours œuvré pour le droit des femmes, et je suis tous les jours face à des jeunes femmes, bardées de diplômes, qui n’arrivent pas à trouver leur place dans notre société mahoraise. Elles sont cataloguées comme ‘femme de’, ou ‘mère de’. Et je me suis dit, c’est pas moi, c’est pas nous, on n’arrive pas à entrer dans le moule. »
La naissance de cette production 100% mahoraise (Clap Productions) tient au génie de Jacqueline Djoumoi-Guez, mais aussi au cofinancement de France Télévision avec Mayotte la 1ère, « en ce sens je tiens à remercier le précédent directeur Jean-Philippe Lemée qui m’a toujours appuyée et le nouveau directeur Hakime Ali Saïd », et également de la préfecture de Mayotte et de la Délégation régionale au droit des femmes. Ils étaient présents ce vendredi soir, ainsi que le recteur Gilles Halbout.
Et pour la 1ère fois, une série faite à Mayotte va être diffusée dans les autres DOM et en métropole.
Une colère en off
L’histoire. Diplôme en poche, trois femmes mahoraises reviennent à Mayotte, et retrouvent une copine, avec laquelle elles partagent leurs difficultés à trouver leur place dans une société qui a peu changé. Impossible de vivre seule sans être mariée, c’est retour dans la maison familiale. « Elles sont bardées de diplômes mais doivent être rentrées pour le dîner à 20h », sourit la productrice. Pour la famille, elles ne seront vraiment adultes que lorsqu’elles auront trouvé un mari.
Des crispations, nombreuses, dénoncées avec justesse, humour, « si il faut se marier pour quitter la maison, c’est un plan d’évasion, donc ! », lance une des protagonistes de Colocs, et toujours avec bienveillance. L’astuce du « on-off », où on entre dans le cerveau de Raïssa sans que les mots n’en sorte pour ne pas blesser sa maman, est une réussite.
Face aux situations ubuesques qu’elles traversent et que l’on découvrira au cours des 14 épisodes, les 4 copines vont alors décider de partager un appartement en colocation.
« C’est notre histoire à toutes ! »
Toute ressemblance avec des personnages dans la salle n’était pas fortuite. Et le choc émotionnel des images passé, c’est dans la salle de l’auditorium du lycée des Lumières que se jouait le second round. Après une standing ovation, les réactions pleuvaient, à fleur de peau. De copines de Jacqueline Djoumoi-Guez… dont beaucoup de diplômées, certaines chefs d’entreprise se sont reconnues. Le micro passait de rires en larmes d’émotion, « c’est incroyable ce que tu as fait ! C’est notre histoire à toutes ». Ymane Ali Hamidi Chanfi, directrice de la CSSM, était de celles là : « Je viens de prendre une claque, on n’avait pas conscience de ce qu’on représentait ». Parole d’homme, Ackeem Ahmed, Office du Tourisme Centre-Ouest, « je me sens faible car je ne voulais pas voir ça, on regarde ailleurs ». Après avoir entendu la maman de Raïssa, une mère présente a avoué à sa fille, « mais c’est moi ça ! ».
Pour Hakime Ali Saïd, l’enjeu de cette série est bien sociétal : « Il n’y aura aucun développement économique et social harmonieux si la femme mahoraise ne trouve que violence et oppression. Il y a des violences physiques, mais au delà, les mariages forcés, l’éducation choisie, etc. Faisons de la place à la femme mahoraise. »
Une série qui devrait faire bouger les lignes, « au moins, j’espère que cela suscitera des échanges, et que mère et filles pourront échanger sur ces sujets* », espère la réalisatrice.
Le tournage a duré 4 mois, entre deux confinements, et a mis en présence des comédiens amateurs qui se sont révélés. « Il manque toujours à Mayotte du matériel et des locaux pour produire des films », soulignait Jacqueline Djoumoi-Guez. Tout le monde reconnaîtra le QG des 4 copines, le salon de thé de M’gombani qui devrait faire salle comble à l’issue des diffusions !
« Colocs » est une révolution en puissance, rendez-vous tous les lundis à 20h pour 13 minutes décoiffantes.
Anne Perzo-Lafond
* Thèmes abordés : La place de la femme dans la société mahoraise, La place de la femme dans les familles, Les relations entre la jeune génération et la précédente, Être femme et créer son entreprise, Le retour à Mayotte, Les violences sexuelles, La polygamie, Le mariage, Les stéréotypes, La perte de repères, La non-maîtrise du shimaoré, La réussite sociale, La prise en compte sociale des maladies mentales