La prise en charge des mineurs isolés n’est plus une question spécifique à Mayotte. Le phénomène qui était marginal sur le plan national, est désormais source de réflexion. Pour preuve le témoignage de la directrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (Ministère de la Justice), Charlotte Caubel, qui avait assuré que la « générosité » de la prise en charge des mineurs isolés étrangers génère un « appel d’air » des flux migratoires. Notamment sur l’évaluation de la possible majorité de jeunes qui se font passer pour des mineurs, que pourrait contrer la mise en place d’un « document provisoire d’identité ». Des élus à Mayotte demandent périodiquement de pratiquer des tests osseux.
Nous avons évoqué le sujet avec le sénateur Thani Mohamed Soilihi. Pour rappel, il fut le co-créateur de Tama (maintenant Mlezi Maore) en 2003, quand aucune politique n’était menée à l’époque par le Département pour prendre en charge les mineurs isolés. « Nous avions mis en place pendant trois ans un dispositif de rapprochement familial des jeunes dont les parents étaient restés ou avaient été reconduits aux Comores. Ils sont une quarantaine par an a avoir pu être raccompagnés ainsi. Ce n’est pas énorme, mais c’était une amorce. La mesure s’est arrêtée en raison d’un vide juridique, il n’y avait pas de sécurisation du déplacement du jeune de Mayotte vers les Comores. »
Un manquement qui incite à se tourner une nouvelle fois vers l’accord cadre France-Comores, « il est toujours actif. Pour mémoire, nous les Mahorais, nous avions quitté la table des négociations en jugeant qu’on se moquait de nous, mais le quai d’Orsay a continué à l’appliquer avec des résultats encourageants ». Conviés en effet le 8 février 2021 par le ministre des Affaires étrangères à une rencontre préparatoire du 2ème comité franco-comorien, les élus mahorais avaient décidé de ne pas s’y rendre. Ils dénonçaient un manque de réciprocité dans cet accord où la France s’engage à investir 150 millions d’euros sur trois ans, avec en contrepartie notable, la promesse des autorités comoriennes de tout faire pour éviter le départ de kwassa vers nos côtes.
Les garde-côtes anjouanais en action
Les choses ont changé depuis, et plusieurs dispositifs de cet accord sont mis en place. Aux Comores tout d’abord. Selon le sénateur, qui utilise le conditionnel, « les garde-côtes seraient en train de faire un travail de surveillance pour empêcher le départ d’embarcations. D’autre part, on aurait pour la première fois inversé la tendance, puisqu’il y aurait plus d’expulsions que d’entrées. » Un taux difficile à livrer pour autant, puisque par essence, ceux qui arrivent à se faufiler ne sont pas comptabilisables : « Les autorités évaluent le pourcentage d’interception en recoupant plusieurs données. Celle des kwassas qui font demi-tour dans leurs eaux en voyant les intercepteurs, le nombre d’interception sur les années précédentes, avec une moyenne de passagers par bateaux, et le nombre de reconduites à la frontière par an qui s’est considérablement accru. Je veux souligner ici l’efficacité de la surveillance aérienne, c’est bien la preuve que quand on met les moyens, on obtient des résultats. » La réflexion menée sur l’implantation d’une base sur l’îlot Mtsamboro va dans ce sens.
L’autre déclinaison de l’accord cadre se fait à Mayotte ensuite autour des reconduites de mineurs auprès de leurs parents aux Comores. Pour ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé, il s’agit de sécuriser l’ensemble, comme nous l’explique M’houmadi Dahalani, Directeur général de Mlezi Maore (Groupe SOS). Et c’est le conseil départemental aux habits de 2019, plus précisément au costume d’Issa Issa Abdou, qui a relancé le dispositif. « Un appel à projets portait sur trois points : enquêter sur les mineurs isolés avec mise en place éventuelle de structures d’hébergement, initier un accompagnement en milieu ouvert sur le plan éducatif, et enfin, mettre en place une réunification familiale. » L’association se positionne et remporte les 3 lots en mai 2021, « Mlezi Maore devient donc l’opérateur unique officiel des Mineurs non Accompagnés à Mayotte », se félicite M’houmadi Dahalani.
Un an de suivi de la famille aux Comores
Dés lors, le projet s’affine et appelle à lever quelques verrous : « L’objectif est de raccompagner chaque année 50 mineurs auprès de leurs familles. Ce qui sous-entend plusieurs démarches. Tout d’abord, d’identifier les mineurs non accompagnés susceptibles d’entrer dans le dispositif. Les 5 à 12 ans, notamment qui ont besoin de leurs parents, ce qui suppose qu’il faut aussi investiguer aux Comores, auprès des familles qui doivent accepter le deal. Nous garantissons en contrepartie la prise en charge de la scolarisation, le panier alimentaire, les consultations pour les gamins et pour la cellule familiale. » Un préalable pour garantir que dans le pays voisin où l’école est encore du domaine du privé, faute pour les enseignants d’être rémunérés, la scolarisation soit assurée. L’accord cadre doit d’ailleurs permettre d’insuffler des ressources pour permettre un retour progressif d’une école publique.
Pour garantir la pérennité de l’action, la famille sera suivie pendant un an, à travers deux association, Maesha, qui était déjà sur le pont de la collaboration avec Tama en 2015, et la toute nouvelle Nayma, de Roukia Lahadji, également présidente de Mlezi Maore, qui pourra donc superviser l’ensemble.
Il faut encore faire sauter deux verrous. Le judiciaire tout d’abord, « en s’assurant de la filiation, le reste doit suivre car l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est d’être auprès de ses parents », et le diplomatique ensuite, et l’accord cadre géré par l’AFD, notamment sur les 150 millions d’euros, va y participer. Depuis mai dernier, les services de Mlezi sont « en ordre de marche » pour délimiter ces phases, « nous recrutons actuellement 10 salariés qui se rendront dans les villages pour repérer les gamins en souffrance. »
Un programme initié et financé par le conseil départemental qui va devoir rehausser son montant de compensations de la part de l’Etat. Dans une vision précise, conclut M’houmadi Dahalani : « Nous ne nous érigeons pas en donneurs de leçons, mais en accompagnateur des collectivités et des familles là-bas ».
Anne Perzo-Lafond