Renouvellement de la flotte de pêche: face aux retards, la CAPAM entre inquiétude et optimisme

"Rien n'est fait". A la chambre d'agriculture et de pêche de Mayotte, le sujet du renouvellement de la flotte de pêche est sensible. Au niveau européen, les aides promises traînent et le métier peine à recruter. Les efforts entrepris pour faire financer le renouvellement des barques existantes pourraient par ailleurs échouer en 2025 si les dérogations accordées ne sont pas prolongées d'ici là.

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Les barques actuelles n'offrent pas des conditions de travail attractives pour la jeunesse

A la pêche aux subventions, les artisans mahorais doivent composer avec une forte houle administrative, et leur inquiétude devient palpable. En effet, le secteur de la pêche est vieillissant à Mayotte, tant sur le plan matériel, avec des barques Yamaha au rayon d’action limité, et qui ne répondent plus aux normes en vigueur, que sur le plan humain, avec un manque d’attractivité qui tient les jeunes éloignés de ce secteur d’avenir.

Pour relancer la filière, un point clé est au cœur des préoccupations : le renouvellement de la flotte de pêche. Mais le caractère souvent artisanal de cette activité ne permet pas aux pêcheurs d’investir sur leurs fonds propres. Le fonds européen spécifique, le Feamp, a été sollicité, mais il ne permet pas d’acheter des bateaux à moteur neufs. Pour palier cette difficulté, l’Europe a autorisé la France à recourir à des aides d’Etat jusqu’en 2025, un régime dérogatoire qui devait régler le problème. Mais des lourdeurs administratives ont fait qu’à ce jour, « rien n’est fait » regrette-t-on au sommet de la CAPAM.

Ainsi dans un courrier du 19 mai 2021 adressé à la commission européenne, la France regrette que l’octroi de l’aide soit conditionnée à la recherche d’équilibre par rapport aux ressources. Un non sens pour certaines voix à la Capam qui dénoncent  » des conditions imposées à des barques de 7m équipées pour une pêche à la ligne avec un prélèvement raisonné, alors qu’aucun contrôle n’est opéré sur les thoniers senneurs qui pillent nos ressources à 20 milles nautiques ». La CAPAM a posé comme revendication « de les repousser à plus de 100 milles nautiques (…) On veut bien fournir les données mais elles seront biaisées s’il n’y a pas de contrôle des captures des thoniers senneurs » souligne par ailleurs la direction de la chambre.

Avec les retards administratifs pris dans l’octroi des aides, celles-ci pourraient parvenir à compter de 2022, avec une deadline en 2025. En interne, il apparaît « compliqué de renflouer la flotte en trois ans ». Pourtant, l’urgence est criante. « Si on veut attirer la jeunesse ça passera par de vrais navires, mais avec des palangriers, des navires plus confortables, homologués pour aller plus loin et travailler en toute sécurité » indique la Direction, rejointe par l’élu Charif Abdallah. Ce dernier indique avoir « demandé la prorogation » des aides d’Etat au delà de 2025, il balaye les inquiétudes, « ça ne devrait pas poser de problème » assure-t-il, « la commission européenne nous a donné des garanties, ils sont là pour nous aider » salue-t-il, précisant toutefois que « ça dépend aussi de l’Etat français ». Au niveau européen, il se dit cependant optimiste, estime avoir été « entendu » au sein du conseil consultatif des RUP (régions ultrapériphériques, dont Mayotte fait partie) qui était réuni mercredi et jeudi aux Açores.

Le vice-président en a profité pour y évoquer les inquiétudes liées aux thoniers-senneurs, réclamant de « protéger notre zone de 100 Milles de pratiques totalement en décalage avec les aspirations européennes de pêche durable ».

Charif Abdallah et Moussa Abdallah (archives)

« Les pêcheries mahoraises se trouvent dans une situation de concurrence directe, déloyale avec les thoniers industriels qui capturent dans la ZEE de Mayotte en UNE saison de pêche l’équivalent de captures d’une année de pêche mahoraise. La PCP permet aux RUP de réserver l’accès de la zone des 100 miles de bases droites des territoires aux navires immatriculés dans les ports et aux navires européens ayant des droits historiques de pêche dans ces zones. L’accord passé entre l’Union Européenne et les Seychelles permet aux navires industriels seychellois de venir pêcher dans la ZEE de Mayotte jusqu’à 24 miles des
lignes de bases droites. Les professionnels mahorais ont exposé vainement (à plusieurs reprises) cet état de fait et ont toujours souhaité que l’Union Européenne puisse apporter une meilleure protection de leur zone de pêche » a-t-il notamment écrit à Charlina Vitcheva,  directrice générale des Affaires Maritimes et de la Pêche de la Commission Européenne.

Signe positif pour Mayotte, le CCRUP a pris la décision d’organiser le prochain sommet annuel en septembre 2022 à Mayotte, « j’y vois une opportunité et une occasion que tous les membres voient la réalité de Mayotte concernant la pêche et l’aquaculture » soutient Charif Abdallah.

Ce dernier plaide maintenant pour une mobilisation au niveau local.

« Il faut être ambitieux, il nous manque de grands porteurs de projets, il nous manque ceux qui vont instruire les dossiers, nos élus ne sont pas encore assez sensibilisés aux enjeux de la pêche. Il manque aussi de structures, Mayotte se retrouve à importer du poisson, ce n’est pas bien. Il faut aussi davantage consulter les professionnels. Si on était consultés et qu’on travaillait ensemble, ça se passerait mieux » estime-t-il enfin.

L’année 2022 devrait donc être déterminante pour les années à venir. En l’état, « si rien n’est fait d’ici 2025, c’est tout l’avenir de la pêche à Mayotte qui se sera compromis » s’inquiète une source interne à la CAPAM, qui tranche avec l’optimisme affiché officiellement.

Y.D.

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