Dysfonctionnements de l’usine de dessalement : retour sur une histoire salée

Ce jeudi, le Sieam révisait son Plan pluriannuel d’investissement en priorisant certains ouvrages. Face au temps de réalisation des forages, l’usine de dessalement reste la solution rapide pour approvisionner l’île en eau potable. Mais voilà, depuis la décision inscrite au plan urgence, elle connaît des « eaux et des bas ». Avec un constat : l’objectif d’autonomie de Petite Terre doit encore attendre jusqu’à la prochaine saison sèche.

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Les membranes d'osmose inverse de l'usine de dessalement de Pamandzi (©ARS)

L’année dernière, le dessalement jouait de malchance. Après l’incendie de l’ancienne usine, la nouvelle donnait déjà des signes d’essoufflement. La raison : des dysfonctionnements liés à l’empressement des responsables à vouloir faire tourner la machine. Le marché des travaux d’urgence de l’usine de dessalement avait été attribué à Vinci-Construction en novembre 2017, pour un montant de prés de 8 millions d’euros. Ils ont bien été effectués, nous y avions consacré un long article, mais lors de la première mise en route, l’eau pompée et envoyée dans le circuit n’avait pas été suffisamment prétraitée, et a donc saturé les osmoseurs.

Frédéric Guillem, le directeur de Vinci-Construction Mayotte, revient sur les enjeux : « Normalement, il faut 3 à 5 ans de travaux pour mener à bien le chantier d’une usine de dessalement. Mais début 2018, l’urgence a présidé à la décision prise collectivement entre le Syndicat des Eaux, la SMAE (filiale de Vinci, ndlr) et l’Etat, de n’effectuer qu’une seule analyse d’eau de mer. L’usine a donc été conçue autour de ce résultat. » Et ce qui avait toute les (mal)chances d’arriver, arriva : « A certaines périodes de l’année, l’eau pompée est davantage chargée en sable ou en matières organiques. Elle n’était donc plus conforme aux installations, et a saturé les osmoseurs. » Le prélèvement d’eau se fait dans une zone au large de Petite Terre, appelée « trou bleu », qui reste immergée avec 3 à 7 mètres de profondeur, nous explique-t-il.

Après l’eau, le feu

L’ancienne usine de dessalement de Petite Terre (Image d’archives JDM)

Il y eut de nouveau urgence lors de l’incendie au niveau du local de commande de l’ancienne usine de dessalement de Petite Terre le 25 août 2018, qui a provoqué un arrêt total de la production en eau potable sur Petite Terre. Un rapport de l’Agence Régionale de Santé (Lire ARS bilan EDCH institutionnel 2018) évoque alors le contexte des décisions prises : « Le Comité de suivi de la ressource qui s’est réuni le 30 août 2018 en présence du préfet, a acté la nécessité de mettre en service en urgence la nouvelle unité dessalement. La SMAE a alors indiqué avoir commencé la mise en distribution de l’eau traitée des nouveaux modules de dessalement le 28 septembre 2018 ».

Notons que pour les mêmes raisons d’urgence, le forage de Gouloue F3 a été relancé par la SMAE, et bien que les analyses jugeaient l’eau bonne à la consommation humaine, l’ARS rapporte qu’elle ne faisait l’objet d’aucune autorisation sanitaire, « il a été demandé au SIEAM de procéder rapidement à la régularisation réglementaire au titre du code de la santé publique de ce forage », dit encore le rapport de l’ARS.

Les déboires de la nouvelle usine de dessalement ont eu un impact sur la production, « nous avons donc produit 800m3 par jour », un chiffre bien inférieur aux 4.000m3 prévus en moyenne. Mais une production qui a permis selon Frédéric Guillem de « passer la saison sèche, il fallait de toute façon prendre une décision pour alimenter l’île ».

Dessaler… un prix salé !

Frédéric Guillem, à droite, aux côtés du préfet, du président du Sieam, et du sénateur, au Comité de suivi de la ressource en eau au début du mois

En comité de suivi de la ressource il y a deux semaines, Vinci s’est engagée à mettre en œuvre une production d’eau à la hauteur des attentes en Petite Terre, « avant fin juin 2020 ». Cela va se faire en deux phases : « Nous avons commencé à effectuer plusieurs mesures de la qualité de l’eau pour éviter les dysfonctionnement dans la production, puis nous allons pré-dimensionner et construire les prétraitements adaptés ».

Les dessalement ne représente à Mayotte que 7% de la production totale d’eau potable, qui se fait essentiellement par les retenues collinaires, et pour plus de 20% par pompage. Un mode de production très énergivore en consommation électrique faut-il donc rappeler, « d’un coût six à dix fois supérieur à celui de la production par forage », avait expliqué l’ex-directeur de la SMAE, Jean-Michel Renon.

Si l’objectif visé reste l’autonomie de petite Terre, et même mieux, puisqu’un surplus pourrait être basculé vers Grande Terre, ce n’est pas qu’un jeu de mots que de demander que la mise en œuvre se fasse cette fois sans trop de pression.

Anne Perzo-Lafond

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