Alors qu’il y a moins d’un mois, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, ne voyait pas l’utilité du port du masque en dehors du personnel soignant, depuis ce vendredi 3 avril, le directeur général de la santé recommande son port pour le grand public, y compris les masques en tissu, « si nous avons l’accès à des masques, nous encourageons effectivement le grand public, s’il le souhaite, à en porter, en particulier ces masques alternatif », déclarait Jérôme Salomon.
Or, dès le départ, « le grand-public » avait les yeux rivés sur les statistiques de Taïwan, de la Corée du Sud ou de l’Allemagne, où tests et masques se multipliaient plus vite que le virus. Qu’il y ait eu pénurie en France en raison d’une absence de renouvellement il y a moins de dix ans, et que ce gouvernement n’ait pas anticipé, n’a échappé à personne, pas plus que l’évolution du discours tenu en février sur l’inutilité des masques, qui s’inverse aujourd’hui. De quoi semer le doute, même si le monde entier apprend en marchant avec ce virus.
C’est sur cette corde raide qu’évolue Dominique Voynet lors des audioconférences de presse bihebdomadaire. A son crédit, la recherche efficace de solutions après la suspension brutale des livraisons par voie aérienne. Des vols qu’il aurait fallu arrêter plus tôt… mais pas avant d’avoir sécurisé les commandes passées par l’ARS. Or, on a fait l’inverse. « Nous avons beaucoup travaillé sur la recherche de solutions d’approvisionnement », expliquait-elle. On sait désormais que 90 tonnes arrivent chaque semaine à La Réunion, « dont un quart est réservé à Mayotte », soit 25 tonnes, qui vont nous être délivrées par le pont aérien des deux avions hebdomadaires entre les deux îles. Et ce lundi, le bâtiment militaire Champlain, livrait une citerne d’oxygène liquide de 20.000 litres, ainsi que 1.000 litres d’alcool pur destiné à la fabrication de gel hydroalcoolique, et du matériel de protection, dont des masques.
« Bandrélé pourrait faire basculer l’île en stade 3 »
Difficile pour autant d’avoir des détails sur le bénéfice pour l’île de ce colis hautement stratégique, en pleine guerre des masques que se livrent les pays, les Etats Unis étant suspectés d’avoir détourné des commandes françaises et allemandes. On sait juste que sur les 2.700 agents de l’hôpital, les services « aigus » seront davantage pourvus, « 3 masques par jour », contre 2 pour les autres. La directrice de l’ARS avait avoué délivrer « chichement » les masques au sein du CHM « où la gestion au sein des services s’est amélioré, après quelques détournements de masques ». Mais désormais, avec « deux semaines de stock », les soignants seront-ils mieux nantis ? « Nous avons de quoi gérer, sauf en cas d’épidémie », répond-elle.
Rajoutant qu’ils sont les plus exposés, et les plus touchés : « 32 professionnels de santé sont détectés positifs au Covid, et 25 dans le cadre professionnel. Les urgences et la réanimation sont les plus impactés, mais certains liés à des personnes qui ont voyagé, et au moins deux médecins libéraux le sont. On compte aussi une préparatrice en pharmacie, sans en comprendre l’origine ». Autres « clusters », des cas groupés, au sein de deux services des forces de l’ordre, la PAF et la police nationale.
Jusqu’à présent, Dominique Voynet se refusait à donner les zones les plus touchées, en dehors de la grande commune de Mamoudzou, « je ne voulais pas que certains soient mis au ban de la société ». Mais pour inciter à la pratique des gestes barrière dans ces zones, elle informait que Petite Terre, « les deux communes », était particulièrement touchée, ainsi que la commune de Bandrélé, notamment par un candidat aux municipales, mais où depuis, deux rassemblements peuvent être à l’origine de la diffusion du virus, des obsèques et/ou un regroupement au sein d’un cabinet médical. Une vingtaine de cas y sont enregistrés. Bandrélé qui pourrait faire basculer l’île au stade 3 de l’épidémie, « nous avons 3 ou 4 jours pour l’enrayer. »
« Le virus meurt plus rapidement au soleil »
Et notamment grâce à la commande de 4.000 masques dits « alternatifs », en tissu, par l’ARS, « qui seront distribués aux particuliers. » Un système D mondial, « il en faut plusieurs pour les laver régulièrement et surtout, les exposer au soleil, car le virus meurt plus rapidement exposé à une forte température. »
Quant aux enterrements, la toilette est désormais interdite, « le corps doit être déposé dans un sac puis enterré. Et ceci, même si le mort n’était pas atteint par le virus. »
Même combat que pour les masques, l’insuffisance de tests sur le plan national laisse la population bouche bée. Leur pénurie allant en se résorbant, on devrait assister à un accroissement de la pratique. A Mayotte, pour l’instant, malgré l’arrivée d’un colis de Paris, on reste sur la même ligne de conduite, « nous testons s’il y a des signes de déficiences respiratoires. Ainsi, sur 40 prélèvement sur le groupe professionnel atteint en Petite Terre, nous n’avons détecté que deux cas. » Deux cas qui pourront épargner une contamination à leur entourage. Dominique Voynet évoquait aussi le personnel insuffisant, « nous n’avons pas assez de biologistes ». L’arrivée de professionnels à Mayotte, « 24 personnels de santé », a été annoncée par la ministre Annick Girardin.
L’internat de Tsararano transformé en centre d’hébergement
Autre interrogation, le protocole du professeur Raoult à base d’hydroxychloroquine, n’est toujours pas généralisé au CHM bien qu’un décret l’y autorise. Un sujet à tensions. En dehors du renouvellement des traitements en cours, une commande devait être passée, « hors de question de le faire sans protocole ! », s’exclame Dominique Voynet. Pourtant, la directrice du CHM nous avait annoncé l’existence d’un protocole de prise en charge intégrant les recommandations du Professeur Raoult « en respectant l’avis du Haut conseil de santé publique ». Et destiné aux personnes présentant des symptômes de gravité, quand le docteur Didier Raoult le préconise au tout début des signes cliniques. « Il existe des effets secondaires », répète Dominique Voynet.
Nous avions dénoncé l’impossible confinement dans les cases en tôle, en particulier des personnes porteuses du virus. Désormais, un centre d’hébergement leur est proposé, l’internat du lycée de Tsararano, avec une capacité de 50 places : « Nous avons accueilli les 3 premières personnes ce week-end. » Soit parce que l’exiguïté de leur habitat rendrait probable la contagion du reste de la famille, soit en raison de la présence de personnes âgées. Une opération menée avec la Direction de la Jeunesse et des Sports.
Tournée vers l’avenir et la très attendue période de déconfinement, Dominique Voynet réclame à Paris la possibilité de pratiquer des tests de détection sérologique, « pour savoir si une personne a eu le Corona ou pas », sans réponse jusqu’à présent, « nous sommes très impatients ! »
Anne Perzo-Lafond