L’hémicycle du département connaissait ce vendredi une affluence que l’on pourrait qualifier d’ « effet départementalisation à l’envers », un statut qui avait été vendu à la population par les élus comme du « sucre et du miel » avec les méprises qui s’en sont suivies. Les habitants sont donc assez désireux de mettre désormais leur grain de sel dans le sucre, pour les décisions importantes pour l’île. Et le classement du lagon en est une.
Beaucoup sont franchement pour, mais beaucoup s’interrogent sur l’opportunité d’un tel classement.
1031 biens sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO dans le monde, 41 en France, dont le Mont Saint Michel ou le vieux-Bordeaux et seulement trois naturels dont les lagons de Nouvelles Calédonie. Etre «classé» signifie une forte reconnaissance mondiale, «et une appropriation du patrimoine par tous, en tant que citoyen du monde», «mais implique un engagement fort du territoire qui porte le projet», soulève Thierry Lefebvre, Chargé de programme «Aires protégées» à l’Union Internationale de conservation de la nature (UICN), qui présentait le projet d’adhésion.
Nombreux freins
Un classement qui a permis pour les sites retenus un meilleur suivi des milieux concernés, selon Raïma Fadul, Direction Environnement au conseil départemental, «mais aussi le travail des associations, la vigilance citoyenne.»
Un conseil scientifique composé de Bernard Thomassin, Sophie Blanchy, Roland Troadec, Henry Daniel Liszkowski, Perrick Graviou, Lionel Bigot et Fabien Barthelat, est chargé de lister les données. Et le lagon avance ses trois atouts qui permettraient son inscription: sa géomorphologie, les espèces remarquables qui y vivent et les habitats en bon état de conservation.
Mais beaucoup d’éléments négatifs aussi qui risquent de le faire dégager illico sur la liste des sites en péril: «L’envasement du lagon, les déchets sur les plages et mangroves, le blanchiment des coraux, l’occupation de certaines forêt, les problèmes d’assainissement des eux usées, le braconnage des tortues, le dérangement des baleines par les nombreux observateurs, et la surpêche et ses pratiques non durables sans tri de poissons par la taille.»
Et la petite pêche ?
Un élément qui ne pouvait que faire réagir Dominique Marot, au titre d’élu du CESEM : «quelle place faisons-nous à l’usager du lagon, à mon père, ma tatie, qui vivent de leurs 4 kilos de poissons pêchés ?» Relayé par l’humour so british du chercheur Mlaïli Condro, «les gens vont-ils arrêter de se nourrir parce qu’il y a l’UNESCO ?»
Le professeur Thomassin faisait remarquer que c’était une des raisons qui plaidait pour le classement d’une partie seulement du lagon, deux zones à l’ouest, «nous ne pourrions pas développer l’aéroport sur Pamandzi sinon, ni le port de Longoni au nord.» Et les recherches minières seront de toute manière interdites, «déjà au Parc naturel marin nous nous sommes opposés à la prospection pétrolière», informe sa directrice Cécile Perron.
Un périmètre sur lequel tous les intervenants ne sont pas d’accord, «l’îlot Mtsamboro est une zone de non droit où il faut être quasiment encadré par la Légion pour s’y rendre», soulevait Michel Charpentier, président fondateur des Naturalistes. «Ce n’est qu’une suggestion qui va évoluer avec le dossier», lui répond-on.
Le classement : frein au développement ou boosteur ?
Un sadois va émettre plusieurs observations qui n’auront pas toutes une réponse : «Ce projet de sollicitation de l’UNESCO* n’est-il pas mort-né, émanant d’un territoire orphelin de l’ONU**?!» Il interrogeait sur les moyens retenus pour toucher l’ensemble de la population, «dont une partie est migrante et représente un frein à l’assainissement et donc une menace pour le développement du territoire.»
Une question qui souligne, en dehors de toute considération communautariste, le problème que va poser l’indispensable appropriation du projet par une population pas facilement joignable et peu fixée sur le territoire.
En conclusion, pour certains, on met un peu la charrue avant les bœufs, «ne faudrait-il pas commencer par créer un observatoire de l’environnement pour évaluer les dégâts sur la forêt ou les mangroves», lançait le géographe Saïd Hachim, quand pour d’autres comme Anchya Bamana, maire de Sada, «ce classement permettra au contraire de demander des moyens et d’impulser des politiques de développement et de défense de l’environnement.»
C’est évidemment ce que plaidait Thierry Lefebvre qui y voit une manière de mettre une pression sur le prochain contrat de projet Etat-région ou fonds européens, qui ont très clairement sous-budgétisé les besoins en terme d’assainissement. Car la démarche va demander entre 4 et 7 ans, avant d’aboutir.
En tout cas, les échanges ont montré que la population savait se déplacer pour les enjeux qui la concernent, «je note une réelle prise de conscience à travers ces échanges», se réjouissait Thierry Lefebvre.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*UNESCO: Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
** Pour l’Organisation des Nations Unies (ONU), Mayotte est comorienne