On n’en est pas encore à l’enseignement du shimaoré, mais on s’en approche. Il est bien loin en tout cas le temps où cette langue vernaculaire était brandie comme un épouvantail du colloque sur le plurilinguisme en mai 2010. Il était alors hors de question de passer par cette langue maternelle pour atteindre l’enfant.
C’est le discours inverse que tiennent les deux inspecteurs généraux de l’éducation nationale qui viennent parler de plurilinguisme à Mayotte. Ils devaient être trois, mais le ministère s’est trompé de date pour le billet de l’inspectrice d’anglais, une erreur d’un mois…
Fabrice Poli, Inspecteur général de lettres, est aussi spécialiste dans le suivi des primo-arrivants allophones, et sur quatre autres territoires ultramarins que sont la Guyane, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie et Wallis et Futuna. Il n’a donc pas froid aux yeux ni aux langues, ce qui a incité la vice-recteur Nathalie Costantini à leur demander de porter un regard distancié et croisé sur la problématique de Mayotte. Et ceci, à la veille de la grande réforme du collège.
« Prendre en compte la langue maternelle »
« Ici, ils parlent le lus souvent quatre langues. Nous avons des élèves très bons si l’on prend en compte le peu de temps qu’ils ont eu pour apprendre le français », observe Nathalie Costantini, « si on veut que l’enseignement s’adapte aux difficultés des élèves, sans avoir besoin d’augmenter les heures consacrées à l’apprentissage du français, il faut leur donner une stratégie pour évoluer. »
C’est aussi pour cela qu’est venue Sophie Tardy, IGN du groupe de langues vivantes en arabe : « Nous devons accompagner les équipes dans les compétences langagières globales, sur le français, sur les langues locales et sur les langues étrangères. Il faut s’interroger sur les dispositifs existants et sur ceux à mettre en place. »
Et Fabrice Poli est clair sur l’axiome de base : « Il faut prendre en compte la langue maternelle de l’enfant pour développer un apprentissage efficace. Les langues obéissent à des règles, elles dialoguent entre elles. En partant de la langue de la maison, on peut acquérir le français, comme l’anglais, et toute autre langue étrangère. »
Passer par la traduction en shimaore
En écho, Sophie Tardy souligne qu’ « un enfant ne peut pas construire de socle linguistique, notamment en français, s’il n’est pas structuré dans sa langue maternelle. »
La vice-recteur le voit comme un vecteur : « Pour améliorer la compréhension d’un texte en français ou en anglais, on pourra passer par sa traduction en shimaoré. » Les enseignants parlant peu cette langue, le porteur du texte pourra être un intervenant extérieur, « un conteur par exemple. »
Il va donc falloir trouver des biais pour « aider les élèves à structurer leur langage », et « les aider à communiquer. » Et en premier lieu, préparer les inspecteurs sur place ainsi que les enseignants, « c’est pour l’instant préjudiciables que ces professionnels n’en aient pas conscience. » Un effort partagé, « les élèves primo-arrivants doivent élargir leurs références culturelles, mais il faut que les professeurs soient formés à cette différence culturelle. »
La stratégie mise en place dans les établissements scolaires devra absolument sortir de l’académisme pour s’approprier la langue autrement.
Une radio internationale
La vice-recteur rappelait qu’apprendre une langue, « c’est travailler sur 5 activités langagières », qui peuvent être résumées par l’écrire, la dire et la lire. Et bien, les enseignants ont déjà commencé par l’oral, tellement adapté à Mayotte, en suivant une technique mise au point par un journaliste de Radio France, la Web radio. On touche du doigt le côté ludique du projet qui doit inciter à apprendre le français presque sans s’en apercevoir.
Le journaliste Thierry Riera est dans une salle du 3ème étage du collège de Majicavo. Il explique dans un premier temps aux enseignants les techniques de maitrise de la radio, « cela doit devenir ensuite un outil pédagogique allié au plaisir. » Destiné à ceux qui s’expriment mal en français, « le concept permet de produire des sujets flash de 50 secondes en plusieurs langues, enregistrés dans les condition du direct », explique-t-il aux enseignants.
Autres supports, le journal du collège, ou les reporters UNSS, « qui pourront faire l’objet d’articles dans différentes langues », explique Nathalie Costantini.
Les deux inspecteur ne sont arrivés que dimanche, mais déjà à l’issue de leurs visites parmi les scolaires, ils ont noté des atouts : « Les enfants mahorais sont curieux, ont une appétence pour la langue, et une aisance à l’oral », dans leur langue d’origine.
Ce n’est pas pour autant l’entrée du shimaore ou du kibuchi par la grande porte de l’école : « C’est aux parlement de se prononcer sur son appartenance aux langues vivantes étrangères ou françaises », concluait la vice-recteur.
C’est donc une avancée majeure qui se prépare si l’évolution est comprise par tous.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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