Entre grigris et attitude du corps médical, la difficile prise en charge du diabète à Mayotte

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La directrice de RéDiabYlang passe la main en évoquant les forces et les difficultés du réseau qui sent bon Mayotte. Si son objectif premier est de dépister et prévenir les cas de diabète, il le fait à partir des spécificités du territoire mahorais. Dont certaines sont liées au comportement de certains soignants.

Joëlle Rastami, "Faire sortir la maladie de son côté sacré"
Joëlle Rastami, « Faire sortir la maladie de son côté sacré »

Un travail de Titan, ou plutôt de Joëlle Rastami, qui est partie de presque rien en 2010, puisque seule existait l’association des jeunes diabétiques. Directrice du réseau RéDiabYlang, de dix salariés, financé par l’Agence régionale de Santé (ARS) et présidé par le docteur Ramlati Ali, elle passe aujourd’hui la main à Hugues Candaes, qui a dirigé un Etablissement d’hébergement pour personnes âgées.

L’heure était donc au bilan, et à la projection sur les années à venir ce mardi au siège de Cavani.

Première satisfaction de la structure, « avoir fait sortir cette maladie de son côté divin ou sacré ‘c’est Dieu ou le grigri du voisin’ », confie Joëlle Rastami. C’est que 84% vivent sous le seuil de pauvreté à Mayotte et plus de la moitié de la population en âge de travailler ne maitrise pas les compétences de base à l’écrit en français. Les 77 médecins pour 100 000 habitants ne permettent pas d’avoir davantage qu’un mi-temps de diabétologue.

La société à Mayotte est qualifiée de « pauvre », « malgré un développement économique rapide » : le plus souvent un seul repas par jour, alors que certains consomment sur un modèle proche de la métropole, et que d’autres fonctionnent au plaisir, à base de chips et de sodas. Résultat, une personne sur 10 est diabétique à Mayotte, selon des chiffres 2009, non réactualisés, contre 4,4% en métropole.

« L’Institut de veille sanitaire nous a rappelé à l’ordre »

Mieux connaître les sucres pour combattre le diabète. Source : ReDiabYlan976
Mieux connaître les sucres pour combattre le diabète. Source : ReDiabYlan976

Il s’agit là d’un diabète de type 2, « qui se construit depuis l’enfance ». L’organisme devient incapable de réguler le taux de sucre (glucose) dans le sang, qui, s’il n’est pas abaissé par des traitements, peut causer de graves problèmes de santé, comme des problèmes cardiovasculaires et des amputations de membres.

Prés de 80% des femmes sont en excès de poids à Mayotte, 52% chez les hommes, « or la ceinture abdominale fait obstacle à l’insuline ».

Une amputation par semaine est pratiquée à Mayotte, alors que la moitié pourrait être évitée. L’Institut de veille sanitaire (INVS) a donc tiré la sonnette d’alarme, « et nous a rappelé à l’ordre sur le dépistage, la diminution des risques de complication, l’amélioration des traitements et la promotion d’une alimentation équilibrée », rapporte Joëlle Rastami.

Une Education thérapeutique est mise en place : « nous recevons les malades pendant plus d’une heure, pour leur expliquer l’utilité du traitement, les rendre autonome et leur parler d’équilibre alimentaire », explique la directrice du réseau, « et en un an, nous avons repéré 34,7% de patients supplémentaires ».

Un patient autonome, un client en moins ?

Joëlle Rastami et Hugues Candaes
Joëlle Rastami et Hugues Candaes

 

Mais elle n’hésite pas à porter des accusations graves et à parler de rétention d’information de la part du corps médical : « certains médecins considèrent que l’éducation thérapeutique, c’est ‘un truc de mzungus’ (métropolitains), et d’autres ont peur qu’on leur prenne leurs patients. » Ce pari de faire du chiffre au détriment de la santé, avec des patients qui deviendraient autonomes, outre qu’il est scandaleux, plombe la Sécurité sociale, et aurait pu être résolu par la création d’un Pôle santé, réunissant plusieurs disciplines de santé, « mais il n’a pas abouti. »

L’espoir repose sur les deux maisons de santé en cours de création à Mayotte, « nous devons participer à faire évoluer le système de santé de l’île », concluait la désormais ex-directrice.

La structure désormais assise, les projets ont été définis autour de 5 axes pour 2015-2016. Ils reprennent tout d’abord la coordination entre professionnels pour les soins de ville et hospitaliers, et notamment, une mutualisation de moyens des trois réseaux, avec REPEMA (Périnatal) et REDECA (Dépistage du cancer).

Changement dans les habitudes

Mutualiser les moyens des réseaux
Mutualiser les moyens des réseaux

Il s’agit ensuite d’accentuer les efforts sur la formation et la recherche, avec l’arrivée d’un nouvel éducateur sportif en août, et une grande première : « plusieurs jeunes diabétiques sous insuline, métropolitains et réunionnais, seront suivis pendant un an sur un programme de plongée sous-marine, avec contrôle de leur glycémie », explique Hugues Candaes.

Un recueil informatique est actuellement en cours d’élaboration, « anonyme bien sûr », qui permettra au seul acteur de l’île fournisseur de données statistiques, de les partager.

Avant dernier point indispensable, « évaluer les actions entreprises par l’éducation thérapeutique, « mais on peut déjà dire que quasiment tous nos patient changent désormais dans l’année une de leurs habitudes, soit dans la pratique d’une activité sportive, soit alimentaire, soit dans la prise en charge de leur traitement. »

RéDiabYlang devra enfin favoriser l’éducation, la prévention et l’insertion du diabétique dans la société : « en mai, nous avons mis en place le mois du dépistage du pied, en juin la semaine de la prévention et du dépistage et la journée mondiale de l’obésité et en novembre, la journée mondiale du diabète ».

Faire évoluer le système de santé, et surtout, l’autonomie du patient, tout en prenant en compte le système mahorais, « nous diffusons d’ailleurs les informations par les cadis maintenant », sont les deux souhaits de celle qui aura mené jusqu’à aujourd’hui la barque RéDiabYlang.

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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